La rentrée est des plus chargée pour Eric Woerth. La semaine dernière, le ministre dévoilait le budget 2010 et ses ambitions pour la Sécurité sociale. Mercredi, c'est son projet de loi sur l'ouverture du marché des jeux en ligne qu'il défend à l'Assemblée. L'examen du texte par les députés débute avec plus de six mois de retard, tandis que le gouvernement souhaite une entrée en vigueur avant la Coupe du monde de football (11 juin - 11 juillet 2010). Pas question en effet de rater la manne financière promise par la première compétition sportive au monde. Et il s'agit aussi de prendre concrètement acte de la mise en demeure par la Commission européenne, pour qui la France doit modifier sa législation en matière de paris sportifs.
Aujourd'hui, plus de trois millions de Français parient en ligne, et 20 % d'entre eux y consacrent plus de 50 euros par mois, selon une enquête réalisée en juin par Ipsos. Les paris en ligne pèsent deux milliards, dont près de la moitié échappe à l'impôt, car seuls le PMU et la Française des jeux ont le droit de proposer aux internautes français de jouer en ligne. Deux cents sociétés le font toutefois, illégalement... Face à cette anarchie, Bercy ouvre le marché par le biais de licences accordées aux opérateurs qui devront répondre à un cahier des charges. Trois secteurs sont concernés : les paris hippiques, les paris sportifs à cote fixe, et les paris en direct.
La France moins attractive que ses partenaires européens
Les futurs ex-monopoles, FDJ et PMU, vont donc devoir se battre face à de nouveaux concurrents, mais leurs taxes pour les jeux en ligne et aussi pour ceux en dur sont ramenées de 13 % des mises à 7,5 %. "L'Etat prend un risque", selon Eric Woerth, qui espère avec ce nouveau dispositif maintenir les recettes fiscales des jeux - environ 5 milliards en 2008. Une stratégie dénoncée par Francis Merlin, auteur d'une étude sur le marché des jeux, qui confiait aux Echos : "L'interdiction des jeux en casino et de certaines formes de jeux, qui peuvent représenter de l'ordre de 30 à 35 % du marché des jeux en ligne, va priver la France de retombées fiscales et économiques significatives."
L'attractivité fiscale de la France fait débat, et le modèle économique cousu par Bercy pourrait dissuader les candidatures. Avec un taux de retour aux joueurs situé entre 80 et 85 % et une taxation de 7,5 % des mises, il est l'un des moins attractifs d'Europe. Les opérateurs entrants pourraient être taxés à près de 60 % de leurs revenus, avancent certains. "Au moment de l'ouverture, le marché devrait peser entre 300 et 350 millions d'euros de chiffre d'affaires pour l'ensemble des opérateurs, sur un total de 2 à 2, 5 milliards d'euros de mises. La Française des jeux et le PMU s'octroient plus de 200 millions, il restera donc entre 100 et 150 millions pour les nouveaux entrants", croit savoir le cabinet d'expertise PricewaterhouseCoopers.
Les opérateurs encore à convaincre
De quoi faire réfléchir les opérateurs avant de s'engager dans la bataille, d'autant plus que ceux-ci devront aussi investir pour exister sur la toile... Et le système imaginé pour éviter la prolifération de sites illégaux ne convainc pas encore tout le monde. "Ce projet de loi n'apporte pas la garantie qu'on pourra lutter plus efficacement demain contre l'offre illégale et empêcher les Français d'aller jouer sur des sites non autorisés. Contrairement à ce que dit le gouvernement, cette libéralisation n'est, en l'état actuel du droit européen et des technologies, pas maîtrisable. On met le doigt dans un engrenage très dangereux !", s'emportait dans les colonnes de Libération le socialiste Gaëtan Gorce.
Ainsi, les opérateurs pourraient ne pas se lancer immédiatement dans l'aventure et attendre deux ou trois ans pour jauger l'efficacité et la rentabilité du système français. L'"ouverture maîtrisée" prônée par Woerth s'apparenterait alors à un coup d'épée dans l'eau pour le gouvernement... Du grain à moudre pour les opposants à l'ouverture qui, déjà, brandissent le jugement de la Cour européenne de justice du 8 septembre, selon lequel les Etats ont le droit de maintenir un monopole sur les jeux d'argent, contrairement à ce que dit la Commission européenne. Pour les partisans de la concurrence, il s'agira de convaincre le Parlement de revoir la fiscalité à la baisse. Mais toute modification substantielle devra en principe être notifié à la Commission européenne pour obtenir un feu vert. L'objectif Coupe du monde 2010, si loin, si proche.
info: lepoint.fr